jeudi 7 février 2013

Flibustiers

Dans notre démocratie représentative les vrais débats ont lieu en commission parlementaire, dans l’hémicycle c’est plutôt à du théâtre auquel on assiste. La majorité et le gouvernement imposent leur volonté à l’opposition et celle-ci n’a plus à disposition pour s’opposer que des moyens illusoires. Les parlementaires de l’opposition sont donc bien démunis, ce qui explique probablement leur absentéisme chronique. Les moyens qui restent pour s’opposer à une loi, une fois que celle-ci arrive en séance plénière, sont essentiellement procéduraux.

Ces jours (et ces nuits)-ci c’est donc à de l’obstruction parlementaire (appelée aussi, d’après le terme anglo-saxon, flibuste) que se livrent les députés de l’opposition sur la loi autorisant le mariage aux personnes de même sexe. Et encore finalement très peu de députés UMP ou UDI, une dizaine tout au plus, sont à la pointe de ce combat. On ne reviendra pas sur la grossièreté, l’indignité, la mauvaise foi, le machisme, l’homophobie de cette petite troupe de guérilleros réacs, sinon pour dire que la droite, quand elle pratique l’obstruction, s’interdit beaucoup moins de choses que la gauche quand elle pratique cette tactique. Droite complètement décomplexée, donc, je dirais même désinhibée.

L’obstruction mobilise les députés de la majorité, pour tout dire elle a pour fonction essentielle de les emmerder. La majorité est tout le temps obligée d’avoir plus de députés en séance que l’opposition pour ne pas se faire surprendre par un vote. Les députés de la majorité doivent attendre patiemment que l’orage passe et surtout donner le moins possible de satisfaction ou d’occasion de faire prolonger les débats aux brutes d’en face. L’opposition, elle, n’a qu’à mobiliser une dizaine d’orateurs pour tenir le parlement.

L’obstruction est aussi une sorte de grand défouloir où les députés frustrés de pouvoir se laissent aller à leurs pires penchants de chahuteurs et de petites brutes, comme ils devaient l’être au collège et ce sans aucun risque. Un exutoire pour les frustrations des familles politiques battues. Une régression aussi.

Le gouvernement et la majorité ne sont pas sans armes pour mettre fin ou enrayer l’obstruction parlementaire mais en l’occurrence ils sont choisi la patience, il s’agit d’épuiser l’adversaire plutôt que de le violenter. Ils espèrent probablement que l’opposition se ridiculise dans l’opinion publique et que son attitude suscite de l’hostilité plus que de la sympathie, et que la loi n’en ait que plus de légitimité.

Nous en profiterons donc pour admirer au passage l’excellente Christiane Taubira qui supporte depuis six jours les invectives et les attaques ad hominem de la droite sans flancher, le Président de la Commission des Lois Jean-Jacques Urvoas et son rapporteur Erwann Binet qui tiennent bon en première ligne.