mercredi 24 novembre 2010

Une traversée

Plusieurs couches de nuages effilés semblant se croiser et nous au-dessus, entre la plus haute couche et le bleu, entre le bleu de l'océan et le bleu du ciel du Nord. Nous venons de quitter l'Ecosse, les côtes septentrionales, les Iles Hébrides et nous nous sommes engagés au dessus de l'Océan. L'avion vient de virer légèrement vers le Nord-Ouest. Nous ne sommes pas très haut : 34000 pieds, 10000 mètres, pas haut, non, normalement à 36000 on devrait voler, mais le commandant nous a prévenu d'un fort courant jet dans le nez qui pourrait bien nous donner des turbulences. Il faut voler en dessous de ces forts courants aériens, compromis entre la meilleure vitesse, la moindre consommation de kérosène et le confort des passagers. 

Il n'y avait pas grand' monde ce matin à l'aéroport, le personnel était détendu, les différents contrôles ce sont passés comme une fleur. L'avion est parti a l'heure après avoir longtemps roulé (pour une raison qui m'échappe, nous avons décollé de la piste Nord alors que nous étions tout prêt de la piste Sud), cap nord-ouest, la Picardie, la Manche (un champ d'éoliennes vu de là haut que je ne savais pas qu'on avait, en Manche, prés de nos côtes), l'Angleterre et le soleil inattendu sur l'Ecosse qui m'a permis d'observer la découpe infiniment compliquée des côtes écossaises et les Highlands couronnés de neige fraîche. De 10 000 mètres de haut les côtes écossaises ressemblent à celles de Bretagne, juste un peu plus découpées et beaucoup moins peuplées, couleur brune relevée de vert foncé ici et là, et ces hautes collines au nord poudrées de sucre glace. Et puis l'Océan Atlantique bleu clair, le sud de l'Islande.

Nous sommes bien engagés sur la route transatlantique la prochaine communication radio sera Gander, de l'autre coté, en vue du Labrador. Tiens, le pilote change de cap, plein ouest maintenant, il pousse les réacteurs pendant trois minutes, passe de 800 à 1000 km/h et monte a 36000 pieds, aussitôt après cette maneuvre, alors que le régime moteur diminue, nous sommes secoués par de moyennes turbulences. Puis une demie-heure après tout s'apaise. La plupart des passagers dorment maintenant, ou regardent un film, sur les trois sièges de la rangée 41 je suis seul, j'ai gardé le rideau du hublot ouvert, je crois bien que je suis le seul à faire ça, j'admire le paysage des nuages et entre ceux-ci l'océan dont on devine la houle, par les rides qui le strie. Ils sont beaux les nuages : ils m'évoquent des forêts, des croutes enneigées, des récifs laiteux, de longs filaments et le soleil qui joue là-dessus et ces vapeurs, ces fumées, paysages de coton. Nous sommes à la pointe sud du Groenland, 36000 pieds, vitesse 940 km/h, "into thin air".

Au dessus du Labrador enfin, les premières neiges saupoudrent le rugueux paysage, les lacs semblent récemment gelés. Mais très vite nous passons, au nord du lac Manicouagan, au dessus d'une épaisse couche de nuage lisse et opaque. Par de fréquents et presque imperceptibles corrections de trajectoire, l'avion a décrit, d'abord au-dessus de l'Atlantique, puis au-dessus du Canada une courbe douce qui le fait se diriger maintenant vers le sud-ouest. Nous avons grimpé jusqu'à 38000 pieds, nous filons a 750 km/h dans l'air calme. De temps en temps il se produit une secousse, comme si nous descendions une marche. L'aile grise de l'appareil est légèrement incurvée vers le haut à son extrémité, la seule pièce qui bouge sur l'aile est le volet de stabilisation qui corrige en permanence le roulis sans intervention humaine.

Plus que trois heures de vol. La mer de nuages reste opaque. L'avion maintenant s'oriente vers le sud, nous nous dirigeons vers Sault Sainte Marie et la péninsule nord Michigan (une pensée pour Jim Harrison). Nous allons traverser le Lac Huron dont le nom m'enchante parce ce qu'il me fait penser aux romans de James Oliver Curwood que je vénérais quand j'étais petit. Nous passerons la frontière au dessus du lac. Bavardé brièvement avec une hôtesse, dégusté  une glace Haagen Daas et bu du Pepsi et de l'eau. Je lis le journal de Joyce Carol Oates sur l'iPad pendant cette traversée, je dois résister à l'envie de surligner (stabiloter?) à peu près toutes les phrases tant la pensée de cette femme me semble correspondre à tout ce qui m'importe. Heureusement le processus de surlignement sur le Kindle de l'iPad est un peu malaisé, ça me sauve. La batterie de l'iPad tient le coup. 

Au dessus du Michigan maintenant, nous avons traversé le lac Huron et la frontière, nous sommes aux Etats Unis. Direction sud sud ouest, vers Chicago. Couverture nuageuse épaisse et totale. 38000 pieds et 763 km/h.

En s'approchant du Lac Michigan la couverture nuageuse s'efface, Chicago apparaît au loin, d'abord la silhouette familière de l'aéroport O'Hare (familière pour moi qui ai passé des heures à observer les cartes) puis le downtown de Chicago au bord du lac, la tour Sears noire, monolithique. L'avion passe au sud-est de Chicago puis en Illinois. Apparition de la grille, empreinte quasiment mécanique de l'homme sur la nature. Vu avec plaisir une correction de grille d'ailleurs, plaisir de nerd passionné de géographie. Vers le sud après, Decatur, Urbana Champaign (pensée pour David Foster Wallace), Saint Louis (pensée pour Jonathan Franzen), (ce récit abuse de name dropping d'écrivains américains). Belle vue sur le Mississippi que nous franchissons a 38000 pieds. Les nuages reviennent au sol, tourmentés, chaotiques. Nous survolons l'Arkansas. Enfin le Texas, avec de gros cumulonimbus. Des orages un peu partout, (l'avion les évite en faisant une série de virages), mais pas encore sur l'aéroport de Houston nous dit le commandant de bord, ajoutant que les contrôleurs sont toutefois obligés de ralentir le trafic et que nous allons avoir un peu de retard. Nous commençons notre descente a la hauteur de Nacogdoches, l'avion s'aligne vers le sud-est Vu d'ici les cumulonimbus sont vraiment impressionnants, des montagnes cotonneuses qui s'élèvent a des hauteurs fantastiques.

Atterrissage sans problème après une descente à travers les colonnes de nuages.