lundi 11 octobre 2010

Écrire, dit-il

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Il y a du vent aujourd'hui, un vent d'Est qui souffle en rafale, un vent froid mais un grand soleil et le ciel d'un parfait bleu, de temps en temps strié par des traînées de condensation (des appareils militaires, il n'y a que très peu d'appareils civils qui passent au-dessus d'ici et on reconnait les militaires au rugissement de leurs réacteurs, les militaires font des exercices dans ce coin : ils interdisent un grand rectangle d'espace aérien et s'amusent dedans, il y a aussi un champ de manoeuvres pour l'artillerie pas loin, parfois on entend la canonnade dans le lointain). Le bruit du vent contribue à me faire gouter le profond silence des lieux. Devant moi par les baies vitrées de la pièce où je me tiens je contemple le balancement des branches des trois grands pins. Ces pins ont une signification spéciale pour moi : ils ont été planté dans mon enfance, c'était les sapins de Noël quand j'avais cinq ou six ans. Ils ont le même âge que moi et ils ont bien vieilli et grandi. Je m'étais insurgé le jour où j'avais entendu qu'on voulait les abattre. Depuis on les laisse tranquille. Il fut un temps où l'on allait prendre le café sous "la pinède" mais pourquoi ne le fait-on plus? Peut-être que c'était trop loin de la maison, et maintenant de toute façon on y a mis le poulailler, on prend le café sur la table devant la maison ou sous le tilleul.

Je rentre à Paris ce soir, j'ai prévu d'écourter ce séjour, à mon grand dam', à cause de la grève qui, demain et les jours suivants s'annonce dure et suivie, surtout dans les transports en commun et je ne savais pas si j'allais pouvoir rentrer jeudi comme initialement je l'avais prévu. Et puis vendredi j'ai une intervention de prévue à une réunion au travail, il faut que j'y sois. Je regrette beaucoup d'être obligé de partir. N'empêche, ce petit séjour est tombé à pic et je sens qu'il m'a fait un bien fou. En particulier pour ce blog que je ne savais depuis des mois comment orienter et que j'avais envie de supprimer carrément. Je me suis rendu compte que je n'étais et ne serai jamais un spécialiste, j'ai des passions et de nombreuses choses m'intéressent mais je suis bien trop dilettante pour m'y tenir avec le temps et la concentration nécessaire. Il faut se rendre à l'évidence et reconnaitre que ma seule envie c'est d'écrire et prendre des photos et que c'est encore ce que je fais de moins mal. Donc ce blog pour écrire ce qui me passe par la tête et comme j'en ai envie — au fond c'est ce que je fais depuis toujours, mais j'ai maintenant l'intention de le faire un peu plus sérieusement et un peu plus sereinement, sans vouloir imiter ceux que je tiens pour grands, sans projets grandioses, juste écrire tous les jours, améliorer et affiner mon écriture, sans ambition autre que d'être lu par quelques amis et connaissances (virtuelles ou réelles). Le blog est bien pour ça, c'est un bon exercice d'écriture. Tout le monde devrait écrire, je le dis tout le temps mais j'y crois vraiment aussi. Donc blog perso ou journal extime, au choix du lecteur, mais en tout cas rien de professionnel, rien de spécialisé, peut-être inutile ou peut-être pas mais ça je choisis de m'en moquer.

Je termine ce billet par ces mots, que j'ai déjà plusieurs fois cité, d'Éric Chevillard, qui me plaisent énormément (et que je me rabâche à l'envi, rien que pour me mortifier et que je lis toujours en riant et en grimaçant devant un tel talent d'écriture!):

Et vous, pourquoi n’écrivez-vous pas ? Vous l’êtes-vous parfois demandé ? Qu’est-ce qui vous retient d’écrire ? Comment justifiez-vous ce refus, ce renoncement, cet évitement, cette dérobade ? Savez-vous ce qui est réellement à l’œuvre là-dessous ? A quelles forces obéissez-vous ? Quelles sont vos raisons ? Quel est le secret honteux que vous gardez enfoui dans ce silence ? Dites-moi ce qui, chaque jour à la même heure, devant la table et la feuille, vous empêche de vous asseoir pour écrire. Et dites-moi aussi ce qui, en tout lieu et à tout instant, de façon si impérieuse, vous persuade de ne rien noter dans le carnet qui se trouve pourtant dans votre poche, flétri par les pauvres tâches que vous lui confiez, d’agenda ou de répertoire. Je ne comprends pas. Expliquez-moi. Parlez, si vous ne voulez pas l’écrire. Expliquez-vous ! Vous vous réfugiez dans le commerce, les affaires, la boulangerie-pâtisserie, le sport, l’enseignement, la plomberie, la politique, l’horticulture, est-ce bien glorieux ?

Toute cette peine vraiment pour ne pas écrire ?

Vous grimacez bien parfois devant votre miroir, vous faites jouer vos muscles, vous poussez votre voix, n’éprouvez-vous donc pas le besoin de vous approprier votre langue maternelle comme vous vous êtes approprié votre corps ? Vous n’auriez pourtant pas consenti à grandir et vivre in utero, je suppose. Vous avez voulu pousser dans les directions qui étaient les vôtres. On connaît votre silhouette, votre démarche. Pourquoi n’écrivez-vous pas ? Comment faites-vous ? Comment vous y prenez-vous, chaque jour à la même heure, pour ne pas écrire, et encore, en tout lieu et à tout instant, pour ne pas écrire non plus ? Pour n’extraire jamais le petit carnet de votre poche – est-il cousu dedans ?

Mais alors qu’est-ce que l’encre pour vous, qu’est-ce que le papier ? Qu’est-ce que la solitude ? Votre passé est-il donc définitivement passé ? Et qu’y a-t-il dans vos tiroirs ?

Mais alors jamais vous n’avez le désir de sortir de votre vie, de quitter aussi votre corps, et d’observer le manège depuis une position écartée ? Et puisqu’il faut vivre quand même, ne souhaitez-vous jamais contrôler davantage la situation ? Ne pas seulement répondre et vous adapter aux circonstances du jour, mais soudain détenir les pleins pouvoir, agir à votre guise, mener la danse et pourquoi pas aussi tyranniser un peu les populations ?

C’est donc avec une éponge et une bassine que vous allez maîtriser l’orage que vous sentez gronder en vous ?

Mais êtes-vous décidément si satisfait de ce monde que vous puissiez vous permettre de ne pas écrire ? Puisque, selon certaine légende qui vous trouble, le monde fut créé par le Verbe, n’avez-vous pas envie de dire votre mot vous aussi, enfin ? Et s’il est vrai que ce monde n’existe pour l’homme que tant qu’il le nomme, vos congénères ne finiront-ils pas par vous en vouloir de ne jamais en placer une ? Et votre contribution ? On l’attend toujours ! Vous vous réfugiez dans le mariage, la maladie, la consommation et les embouteillages, est-ce bien glorieux ?

Pendant ce temps-là, qui nourrit votre tigre ?

Ou devrais-je plutôt vous admirer ? Quelle force il vous faut, en effet, pour ne pas écrire ! Quelle résistance ! Quel aplomb ! Quelle formidable volonté ! Et comme vous êtes bien bâti pour la vie ! Pourquoi vous n’écrivez pas ? Mais parce que le monde s’ouvre devant vous et vous acclame, parce que votre bouche ne trouve rien à redire ni votre œil rien à déplorer qu’une surabondance de roses, peut-être, qui pourrait bien incommoder aussi votre odorat délicat (penser à punir le jardinier). Écrire risquerait de compromettre cette belle harmonie. Surtout ne pas écrire, il n’en résulterait que désordre, panique, confusion, cacophonie.

Je comprends mieux, mais tout de même, j’ai beau vous regarder, je ne vous trouve pas si réjoui, si triomphant, si épanoui. A vrai dire, je vous sens plutôt fatigué, amer, mal fichu. Je me trompe peut-être, mais je ne serais pas surpris de vous voir entrer tout à l’heure dans une papeterie pour y faire quelques emplettes.