mardi 24 août 2010

Maison Nérée Boubée

Je me souviens de Nérée Boubée. Vers l'âge de onze ou douze ans j'ai été un grand amateur d'insectes. J'ai fait une collection de papillons et de coléoptères. Je capturais ces pauvres bêtes et je les estourbissais dans un bocal garni d'un coton imbibé d'éther ou bien, plus perfectionné, d'un mélange compact de plâtre et de cyanure. Puis je leur plantais une épingle en inox à travers le rostre et j'étalais les ailes des papillons sur une planchette prévue à cet effet qui s'appelait un étaloir. C'était assez cruel mais les insectes ne souffraient pas, du moins le pensions-nous, et de toute façon ils ne devaient pas survivre bien longtemps dans la nature. Après qu'ils aient séché les insectes ainsi préparés, identifiés et étiquetés allaient dans des coffrets vitrés rejoindre la collection. Bocaux à tuer (c'est ainsi qu'ils s'appelaient), étaloirs, épingles spéciales, filets à papillons, coffrets de présentation, étiquettes et livres illustrés pour l'identification, tout se trouvait chez Nérée Boubée, une boutique à Paris, Place Saint André des Arts, qui était spécialisée dans le naturalisme. Je commandais le matériel et les livres chez eux en leur écrivant des lettres de mon écriture d'enfant dans lesquelles je leur demandais de m'envoyer tel ou tel outil, ou livre, "contre remboursement", quelques jours après, une semaine ou deux je recevais, émerveillé, ma commande que mon père payait au facteur. Déjà j'étais supérieurement intéressé et attiré par les livres, ceux de Nérée Boubée étaient au format moyen et reliure souple, ils recélaient des planches d'insectes en couleur et leur description précise, classés selon la systématique. J'avais les trois volumes des lépidoptères d'Europe et les trois volumes des coléoptères d'Europe. Je me souviens encore des noms français des papillons les plus communs et pendant longtemps j'ai su leur nom latin que j'ai maintenant complètement oublié. La collection a disparu dans les péripéties de mon existence et de toute façon je ne m'y intéressais plus depuis longtemps. La maison Nérée Boubée n'a pas survécu, à son emplacement il y a aujourd'hui une agence de la BNP, d'après Francis qui connait son quartier latin par coeur.