dimanche 22 août 2010

légendes urbaines

La majorité des gens oublient comment ou à travers qui ils ont appris ce qu'ils savent, et il y en a qui croient l'avoir conçu eux-mêmes, quoi que ce soit, un récit, une idée, une opinion, un cancan, une anecdote, une invention mensongère, une blague, un jeu de mots, une maxime, un titre, une histoire, un aphorisme, une devise, un discours, une citations ou un texte entier, qu'ils s'approprient fièrement convaincus d'en être les géniteurs, ou peut-être en réalité savent-ils qu'ils volent, mais ils chassent cette pensée et se la cachent à eux-mêmes. Cela se produit de plus en plus souvent à notre époque, comme s'il y avait urgence que tout tombe dans le domaine public et qu'il n'y avait plus de paternité reconnue ou, pour le dire de façon moins prosaïque, urgence à tout convertir en simples rumeur ou refrain ou légende courant de bouche en bouche et de plume en plume et d'écran en écran, tout cela de façon incontrôlée, sans constance ni origine ni lien ni propriétaire, tout cela éperonné et débridé et sans frein.
Javier Marias, Ton visage demain (Fièvre et lance), traduction Jean-Marie Saint-Lu.